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Érosion du Mont César

Observation à échelle de temps humaine de l’évolution géologique d’un paysage à l’aide d’images aériennes et de données de mesure de terrain et confrontation aux documents officiels de prévention des risques.

Auteur : Vincent GUILI, Lycée Descartes, Saint-Genis-Laval

Liens avec le BO

Programme de sciences de la vie et de la Terre de seconde générale et technologique
BO spécial n°1 du 22 janvier 2019
Seconde : Les enjeux contemporains de la planète
Géosciences et dynamique des paysages
L’érosion, processus et conséquences

Connaissances

L’érosion affecte la totalité des reliefs terrestres.

Capacités, attitudes

Décrire la composante géologique d’un paysage local avec ses reliefs, ses pentes et ruptures de pente, et proposer des hypothèses sur leurs origines.
Extraire des données, issues de l’observation d’un paysage local, de manière directe (observations) et indirecte (imagerie satellitaire).


 

Les objectifs

Comprendre qu’un paysage change inéluctablement avec le temps du fait de l’érosion.
Saisir l’intérêt des géosciences pour comprendre le monde qui nous entoure mais aussi pour prévenir les risques.

Problématique

Le Mont César (1570 m) est une montagne située au nord des Alpes, en Haute-Savoie, dans le massif du Chablais. Elle surplombe la commune de Bernex. Elle est formée de calcaire datant du Jurassique supérieur (le Malm, époque s’étendant de -161.2 ± 4.0 à -145.5 ± 4.0 millions d’années).

Figure 1 - Situation du Mont César

Source : adapté de https://www.geopark-chablais.com
 

Figure 2 - Vue d’ensemble du Mont César

Source : V. Guili, photo prise en octobre 2019.

 
En comparaison avec les montagnes qui l’entourent (barre des Mémises, Dent d’Oche), le Mont César présente un aspect ruiniforme, avec de nombreuses fractures et de grands éboulis sur ses flancs.
Des vues plus rapprochées mettent en évidence une grande fracture dans la barre calcaire située en zone sommitale :


Figure 3 - Zone fracturée au sommet du Mont César

Source : V. Guili, photo prise en octobre 2019.

 

 Les roches fracturées peuvent-elles s’effondrer ?
 Y-a-t-il un risque pour les habitations situées en dessous dans la vallée ?

Pour répondre à ces questions, un corpus de documents et d’activités numériques est proposé. Il permet de découvrir le contexte géologique, de traiter des données d’imagerie aérienne et des données de mesure de terrain, et de les confronter aux documents officiels de prévention des risques.

Supports de travail

Document 1 - Vidéo de présentation du glissement de terrain du Mont César

Figure 4 - Capture d’écran de la vidéo de présentation

Source : http://www.chablais.fr/maj/geoparc/Le-Mont-Cesar.mp4

Transcription de la vidéo :

"Le Mont César, situé à l’extrémité de la montagne des Mémises, est le fruit d’un phénomène naturel spectaculaire. Il constitue l’extrémité du synclinal perché des Mémises, pli dans les calcaires du Jurassique. Reposant sur 600 m de marno-calcaire riche en argile pouvant fluer, cette masse de calcaire glisse lentement en direction de la vallée de Bernex. À l’origine de l’aspect ruiniforme du Mont César, ce spectaculaire glissement de terrain se révèle toutefois assez discret car très lent".

Document 2 - Photographies aériennes historiques

Le site Remonter le temps de l’Institut Géographique National (IGN) permet d’accéder aux archives des images aériennes de la France depuis que des campagnes de cartographie par photographies prises d’avion sont menées (1919).

Figure 5 - Utilisation du site Remonter le temps

A : L’onglet TÉLÉCHARGER permet d’accéder aux photographies aériennes. Il suffit ensuite d’utiliser le module de recherche pour se centrer sur le lieu d’intérêt. Le ruban avec les dates indique les différentes campagnes de photographies aériennes disponibles pour la zone considérée. Ici rechercher "Bernex".
B  : Résultats pour la zone de Bernex avec la campagne de 1984. Chaque point jaune représente le nadir, c’est-à-dire le centre d’une photographie à la verticale sous l’avion. Les points sont alignés, ce qui montre la trajectoire de l’avion.
C
 : En positionnant la souris sur un point jaune, on voit apparaître en surbrillance bleue l’emprise de la photographie correspondante. Il suffit alors de cliquer pour afficher la photo.
D : Affichage de la photographie aérienne : la difficulté consiste ensuite à zoomer et se repérer pour retrouver la zone du Mont César en l’absence d’indications géographiques.
E : Zoom sur la zone fracturée, à la jonction entre le Mont César et la Montagne des Mémises.

 
Document 3 - Interprétation de la géomorphologie du Mont César
Les vues aériennes mettent en évidence les nombreuses fractures du calcaire du Mont César et les nombreux éboulis qui tapissent ses flancs. Cette morphologie ruiniforme contraste fortement avec celle de la Montagne des Mémises, pourtant située juste à côté, et qui, elle, forme un seul gros ensemble sans éboulis apparent.

Vue d’ensemble de la zone entourant le Mont César.

Source : https://earth.google.com

Vue rapprochée du Mont César.

Figure 6 - Géomorphologie du Mont César et de ses environs

 

Figure 7 - Relation entre le Mont César (à gauche) et la Montagne des Mémises (à droite)

Source : Google Earth Pro (date de prise de vue : 2012)

 
 
Document 4 - Étude géologique de la fracturation par l’Université de Genève
À partir de 1980, un géologue de l’Université de Genève, Jean SESIANO, a entrepris de mesurer l’évolution de la fracture sur la barre calcaire sommitale du Mont César. Au début des mesures, la fracture traversait déjà toute la crête, longue d’environ 50 mètres et avait une profondeur moyenne de 20 mètres. Des broches métalliques ont été scellées à environ 5 mètres du fond, sur chaque paroi, et chaque année l’écart entre elles a été mesuré.


Ces données sont disponibles dans un tableur, permettant ainsi la construction d’un graphique ou des calculs de vitesse moyenne d’écartement.

Figure 8 - Mesures de l’écartement de la fracture de 1981 à 2004

Source : Jean SESIANO. Mesure du mouvement d’une fracture au Mont-César (Chablais, Haute-Savoie, France). Bulletin de la Société vaudoise des Sciences naturelles, 2004, vol. 89, no. 2, p.67-76

À plus ou moins brève échéance, même s'il s'agit d'un siècle, ce phénomène mènera à l'effondrement d'un volume de 20 000 m3 de rochers environ. Cela pourrait amener des blocs dans la vallée, à 1 km en contrebas. Il s'y trouve des habitations et une colonie de vacances. Il est vrai que la fragilisation des blocs par les nombreuses diaclases décrites ci-dessus, milite en faveur d'une fracturation en entités plus petites lors de la chute. De plus, une forêt de conifères entoure toute la base de la montagne. Même si elle a déjà été partiellement exploitée, elle devrait suffire à arrêter l'éboulement. Elle a du reste joué son rôle à de nombreuses reprises ces dernières années, mais il ne s'agissait alors chaque fois que de chutes de rochers de quelques m3.

Figure 9 - Extrait de la conclusion de l’étude

Source : Jean SESIANO. Mesure du mouvement d’une fracture au Mont-César (Chablais, Haute-Savoie, France). Bulletin de la Société vaudoise des Sciences naturelles, 2004, vol. 89, no. 2, p.67-76

 
Document 5 - Plan de prévention des risques naturels à Bernex

Figure 10 - Extrait de la carte des aléas de la commune de Bernex

Source : Préfecture de la Haute-Savoie

 

Chutes de blocs

Le Mont César
Les affleurements calcaires du Mont César sont particulièrement fracturés, et ont subi de nombreux éboulements au cours du temps, conduisant peu à peu à l’écroulement d’une partie de la montagne. Les aiguilles du Mont César et les falaises qui prolongent le sommet jusqu’au pas de l’Échelle sur les versants sud et au col de Pertuis sur les versants nord sont très fracturées : on peut y observer de nombreuses écailles, de toutes tailles, plus ou moins détachées de la paroi ainsi que de très gros blocs au pied des parois (notamment au pas de l’Échelle). Si les éboulements restent rares, ils peuvent produire de très grosses masses rocheuses, comme en témoignent les éboulis de tailles diverses qui couvrent le pied des parois. Ces éboulis sont pour la plupart peu actifs : les rochers sont parfois moussus et une végétation arbustive et herbacée s’y est développée. Seul un couloir situé au sud-ouest du Mont semble plus actif et n’est pas encore colonisé par la végétation.

Les contreforts du Mont César, du col de Pertuis au nord à la Rasse au sud
La partie médiane des versants, autrefois recouvertes d’éboulis (rochers encore visibles dans les sous bois), a été recolonisée par des conifères qui protègent les hameaux du pied du versant, en faisant écran. Cependant, des chutes de pierres et de blocs ne sont pas exclues. Elles peuvent être locales, après le déracinement d’un arbre, ou plus générale, après le détachement d’une écaille des parois rocheuses. Le phénomène reste exceptionnel et aucune chute n’a atteint à ce jour les hameaux de Trossy, Charmet et du Chon.
Le versant ouest du Mont César est moins affecté par cet aléa.
Sous le col de Pertuis, les parois rocheuses semblent plus stables mais les pentes plus fortes accentuent la portée des éventuelles chutes de blocs.

À noter : le document communal synthétique d’information des populations sur les risques majeurs ne contient aucune mesure de prévention ou de protection contre le risque de chute de blocs.

Figure 11 - Extrait du document communal synthétique

 

Pistes d’exploitation avec les élèves

Plusieurs activités sont proposées :

  1. Déterminer si la fracture est récente ou pas en cherchant des photos aériennes de la zone à l’aide du site Remonter le temps.
  2. Traiter les données de mesure de l’écartement de la fracture pour mettre en évidence sa dynamique (calculs de moyenne / construction de graphique).
  3. Annoter des images aériennes du Mont César pour caractériser l’évolution de ce relief (à partir des images fournies ou en utilisant Google Earth Pro).
  4. Identifier les éléments de prévention des risques concernant le Mont César, et les discuter à l’aune des éléments mis en évidence dans les activités 1 à 3.

Chaque activité peut faire l’objet d’un atelier, les élèves passant de l’un à l’autre. Cette organisation permet à chaque élève de travailler les compétences nécessaires pour chaque activité. Mais le temps requis pour tout faire peut être long.
Une autre possibilité est d’organiser la classe pour faire travailler les compétences langagières des élèves dans un cadre coopératif, type classe puzzle ou groupes d’experts :

  • dans un premier temps chaque élève prend connaissance individuellement de la situation problème ;
  • ensuite les élèves regroupés par 4 travaillent sur une des quatre activités possibles (chaque groupe est expert de son approche) ;
  • enfin de nouveaux groupes sont constitués, avec un expert de chaque groupe initial. Chaque élève doit alors faire part aux autres des travaux de son groupe d’expert. Pour finir le groupe construit une réponse collective et argumentée à la question "La prévention des risques majeurs liés au Mont César est-elle suffisante ?"
  • Dans ce cas chaque élève ne travaillera pas toutes les compétences spécifiques à chaque activité. Il importe donc de constituer des groupes de telle sorte que les élèves travaillent les compétences sur lesquelles ils sont les moins à l’aise. Un outil d’aide à la constitution critériée des groupes est proposé en ligne par  Keamk.

    Résultats

    Figure 12 - Photographies aériennes de la zone fracturée de 1934 à 2018

    Sources : remonterletemps.ign.fr (1934 à 2012) ; Géoportail (2015) ; Google Earth Pro (2018).

    La comparaison des photographies prises durant 80 ans semble indiquer que la fracture observée aujourd’hui dans la barre calcaire du Mont César se met en place au cours du XXème siècle et s’agrandit au fil du temps. Il s’agit donc d’une observation à échelle de temps humaine de l’évolution géologique d’un paysage. On ne peut pas totalement exclure que son absence sur les photos les plus anciennes ne soit pas due simplement à une faible résolution des images. Mais des détails de taille comparable à la fracture sont également observables sur les photos de 1934 et 2018, ce qui tend à invalider cette dernière interprétation.
    Remarque : la distorsion apparente du bloc de calcaire selon les images dépend de la position et de la distance de l’appareil photo.
     

     
    Les données de mesure directe de l’écartement de la fracture permettent de construire le graphique de la figure 13. On constate une grande régularité dans le phénomène (les courbes de tendance sont des droites). En calculant la vitesse d’écartement, on trouve une valeur moyenne de 7,5 mm/an, soit 15 cm sur 20 ans. En admettant que le mouvement d’écartement se fait selon le même rythme depuis le début, on peut donc estimer la date d’ouverture de la fracture. En prenant la valeur d’écartement de 1980, on obtient : 230 mm / 7,5 = 30 à 31 ans avant, soit aux alentours de 1950. En prenant celle de 2004, on obtient 788 / 7,5 = 105 ans avant, soit aux alentours de 1900. Ces valeurs dépendent bien évidemment de l’endroit où sont positionnées les broches métalliques. Mais elles donnent un ordre de grandeur qui est cohérent avec les observations réalisées à partir des photographies aériennes.
     

    Figure 14 - Mise en évidence du décalage entre le Mont César (à gauche) et la Montagne des Mémises (à droite)

    Source : Google Earth Pro (date de prise de vue : 2012)

     
    La continuité de la barre rocheuse du jurassique qui constitue le Mont César et la Montagne des Mémises est rompue, ce qui correspond à l’emplacement d’une faille, et il y a un décalage important vers le sud-ouest (flèche rouge). La zone du Mont César est celle où l’on observe de multiples fractures et de nombreux éboulis (surbrillance bleue). On peut donc supposer que cette partie se décale et descend vers le sud-ouest et que ce mouvement de terrain fragilise le massif rocheux, provoquant son effondrement progressif. Le glissement de terrain se fait sur les couches sous-jacentes riches en argiles (cf document 1). Ce mouvement général est sans doute à l’origine de la fracturation de la barre calcaire et de l’élargissement de la fracture au cours du temps.

    Les documents de prévention des risques majeurs à Bernex identifient deux aléas sur le Mont César, un aléa faible à moyen de glissement de terrain et un aléa fort de chute de pierres et de blocs. L’aléa de chute de blocs est considéré comme "rare", "exceptionnel", "aucune chute n’ayant atteint à ce jour les hameaux" et les éboulis considérés comme "peu actifs", bien que la chute de "très grosses masses rocheuses" soit envisagée. Les zones à aléa fort ne s’étendent pas jusqu’aux habitations, ce qui indique un enjeu faible. D’ailleurs aucun élément de prévention n’est prévu, bien que des chemins passent juste sous les barres rocheuses. Cependant le risque de chute de la grande portion de barre rocheuse fracturée, qui semble inéluctable à moyen terme compte tenu des observations réalisées, ne paraît pas pris en compte. Il y a de quoi s’interroger car selon le géologue qui a étudié la fracture, l’effondrement d’un volume de 20 000 m3 de rochers pourrait amener des blocs dans la vallée, à 1 km en contrebas. En ce cas il faudrait compter sur la forêt pour atténuer l’impact de l’éboulement.

    Documents à télécharger et sources

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