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Sensibilité au PTC (PhénylThioCarbamide) : phénotype macroscopique, phénotype moléculaire, génotype

Contacter l’auteur, Vincent Guili

Contexte scientifique

En 1931 le chimiste Arthur L. Fox découvre que la molécule sur laquelle il travaille, le PhénylThioCarbamide (PTC), a un goût très amer pour certaines personnes, aucun goût pour d’autres, dont lui-même.
A partir de cette observation, de très nombreuses études sont menées. La sensibilité des populations est très inégalement répartie selon les continents :


PhénylThioCarbamide (PTC)


Carte mondiale de la sensibilité des populations humaines au PTC
(d’après S. Wooding)


 

Il est assez rapidement établi que la sensibilité au PTC dépend d’un gène à 2 allèles : un allèle dominant, qui confère la sensibilité, et un allèle récessif, associé au phénotype d’insensibilité.

En 2003 le gène du récepteur au PTC est cloné. Nommé TAS2R38 il est localisé sur le chromosome 7, en position 7q34. Il est constitué d’un unique exon de 1002 paires de bases. Il code pour un récepteur membranaire à 7 domaines transmembranaires, couplé aux protéines G. Il fait partie de la famille des récepteurs TAS2R, qui compte au moins 25 gènes fonctionnels connus. Ces gènes sont portés par les cellules sensorielles des bourgeons du goût situés sur les papilles linguales. Ils sont impliqués dans la détection des substances amères, de la famille des glucosinolates, en particulier celles contenues dans les Brassicacées.

Trois variants ponctuels de l’ADN (=SNP, Single Nucleotide Polymorphism) ont été identifiés dans ce gène :

Position du nucléotide

Changement de nucléotide

Changement de codon

Changement d’acide aminé

Position de l’acide aminé
145 C -> G CCA -> GCA Proline -> Alanine 49
785 C -> T GCT -> GTT Alanine -> Valine 262
886 G -> A GTC -> ATC Valine -> Isoleucine 296

L’allèle conduisant à la combinaison d’acides aminés Proline-Alanine-Valine (PAV) est celui qui confère la sensibilité. L’allèle conduisant à la combinaison Alanine-Valine-Isoleucine (AVI) produit un récepteur membranaire qui ne fixe plus le PTC. Par commodité ces allèles sont donc dénommés PAV et AVI. Ces deux allèles sont très largement majoritaires dans la population.
Remarque : Les combinaisons des 3 SNP déterminent huit allèles dénommés selon les changements d’acides aminés induits dans les séquences protéiques des récepteurs : PAV, AVI, AAI, AAV, AVV, PAI, PVI et PVV (P=Proline, A=Alanine, V=Valine, I=Isoleucine). Les trois premiers sont les plus fréquents.


Expression du récepteur au PTC dans les bourgeons du goût.
Hybridation in-situ dans l’épithélium d’une papille de la langue humaine. A gauche contrôle avec une sonde ARNm sens. Au milieu et à droite hybridation avec une sonde ARNm antisens. Détection à la phosphatase alcaline. Les barres de gauche et du milieu représentent 100 μm, la barre de droite représente 10 μm. L’astérisque dans l’image du milieu pointe le bourgeon du goût visible à plus fort grossissement à droite.
Source : Bufe et al., Curr Biol. 2005 15(4) : 322–327


Localisation des récepteurs PAV et AVI à la surface cellulaire.
Microscopie confocale de cellules en culture, transfectées avec des vecteurs d’expression des récepteurs PAV ou AVI. La surface cellulaire est détectée par une lectine, la concanavaline A, couplée à un fluorochrome rouge. Les récepteurs sont détectés par un anticorps primaire suivi d’un anticorps secondaire couplé à un fluorochrome vert. La colocalisation donne une couleur jaune lors de la superposition des images.
Source : Bufe et al., Curr Biol. 2005 15(4) : 322–327


 

Kit de test de la sensibilité au PTC

La société Carolina commercialise aux Etats-Unis des bandelettes de test de la sensibilité au PTC, ainsi que des bandelettes de contrôle. Ces produits sont disponibles en France auprès de Sordalab ou de Jeulin.

 

Pour éviter la manipulation par de multiples personnes du kit et des bandelettes, un protocole de sécurité est proposé. Il faut commencer par faire poser la bandelette contrôle sur la langue, et relever les sensations. Il est alors possible de travailler sur la notion de témoin dans un test. Dans un second temps on peut donner les bandelettes imprégnées de PTC.
Il faut prendre des précautions pour récupérer les bandelettes imprégnées de salive : récipient avec eau de Javel ; lavage des mains.
Pour les personnes les plus sensibles, le goût est vraiment très désagréable. On peut prévoir de donner un petit morceau de sucre.
Par ailleurs le PTC est un produit toxique à forte dose. Le test étant commercialisé, il ne présente bien sûr aucun risque. Cependant, il est nécessaire de prévoir des mini-gobelets en plastique contenant de l’eau afin que les élèves se rincent la bouche après le test.

Les individus PAV / PAV sont très sensibles, les PAV / AVI sont sensibles, et les AVI / AVI sont insensibles. Mais les allèles PAV et AVI ne rendent compte que d’environ 90 % des phénotypes de sensibilité au PTC. Les 10 % restants sont dépendants des autres allèles, mais aussi de l’environnement : la sensibilité est conditionnée par l’état de sécheresse de la bouche, par ce qui a été mangé auparavant, et décroît généralement avec l’âge.

Alignements de séquences

Les séquences des ADNc et des protéines pour les allèles PAV et AVI sont téléchargeables.
Liste des fichiers au format .EDI utilisables avec Anagène ou GéniGen :

Ces séquences peuvent être utilisées pour réaliser des alignements (exemple ici avec GenieGen) :


 

Alignement avec Geniegen 2
Lien pour ouverture directe en ligne : https://www.pedagogie.ac-nice.fr/svt/productions/geniegen2/?load=PAC-PTC


 

Structure tridimensionnelle du récepteur et fixation du ligand

La structure tridimensionnelle des protéines transmembranaires est très difficile à obtenir par cristallographie ou par résonance magnétique nucléaire. Dans le cas du récepteur au PTC, une structure théorique a été obtenue en 2013 en partant de la structure cristalline de la rhodopsine de calamar. En effet une partie de la séquence de la rhodopsine présente une ressemblance suffisante avec le récepteur au PTC pour servir de base à la construction d’un modèle qualifié de "fiable". Toutefois le niveau d’identité entre les acides aminés des deux protéines n’est que de 10 %, et à ce niveau des erreurs substantielles d’alignement et de modélisation sont fréquemment observées. Ce modèle était donc provisoire et nécessitait d’être raffiné.


Modèle théorique du récepteur au PTC (acides aminés 16 à 331)

L’emplacement approximatif de la membrane plasmique traversée par 7 hélices est indiqué. A droite l’emplacement des acides aminés variables selon les allèles est indiqué. A priori l’Alanine en position 262 serait sur le domaine extracellulaire, alors que la Proline49 et la Valine296 seraient en face cytoplasmique.
Téléchargement du modèle : Structure du récepteur au PTC, allèle PAV (23/10/2013)


Modélisation de l’interaction du PTC avec les récepteurs TAS2R38PAV et TAS2R38AVI

Parallèlement des méthodes de modélisation moléculaire dynamique ont indiqué que le site de fixation du PTC sur son récepteur se ferait entre les hélices TransMembranaires (TM) 3, 5 et 6 (figure a). Le PTC établirait des liaisons hydrogène avec l’Alanine 262 du TM6 et la Tyrosine 199 du TM 5. Ceci aurait pour conséquence de modifier légèrement la structure du récepteur, entrainant son activation. Chez le variant AVI (figure b), la structure est modifiée du fait du remplacement de l’Alanine 262 par une Valine, ce qui empêche la fixation stable du PTC sur le récepteur, et donc son activation.
Source : Tan et al., J. Chem. Inf. Model. 2012, 52, 1875−1885

En 2019 l’application PHYRE (Protein Homology/analogY Recognition Engine V 2.0) du Structural Bioinformatics Group, de l’Imperial College de Londres a permis de calculer des structures moléculaires avec un très bon indice de fiabilité (100 % pour 88% des résidus) en se basant sur les structures 3D de 20 protéines différentes, ayant de fortes ressemblances de séquence primaire avec celle des récepteurs au PTC.
En 2020 le logiciel Hex Protein Docking a permis d’ajouter le PTC sur les structures des récepteurs.
Remarque importante : les structures des récepteurs en présence du ligand sont des modèles réalisés "à la main", en tenant compte des résultats de la modélisation de l’interaction du PTC avec la protéine TAS2R38 décris ci-dessus. Il s’agit de modèles à visée didactique, et non de modèles issus de la recherche.


PTC sur le récepteur PAV, vue latérale
Le PTC, en bleu, est localisé dans une poche sur la face extracellulaire du récepteur. Il est au contact de l’alanine 262 (en jaune). On discerne également la valine 296 en jaune.


PTC sur le récepteur PAV, vue face extracellulaire
Le PTC, en bleu, se trouve au fond d’une poche située à la surface du récepteur.


PTC sur le récepteur AVI, vue latérale
Le PTC, en bleu, n’interagit pas avec le récepteur. Les acides aminés alanine 49, valine 262 et isoleucine 296 sont visibles en jaune.


PTC sur le récepteur AVI, vue face extracellulaire

Images obtenues avec Libmol.

Les modèles montrent que les mutations ont pour conséquence des structures 3D différentes : sur le récepteur PAV il y a en face extracellulaire une poche au fond de laquelle se trouve l’acide aminé Alanine accessible au PTC, alors que sur le récepteur AVI l’acide aminé Valine est inaccessible au ligand. Les différences de nucléotides entre allèles se traduisent donc par des protéines différentes, qui auraient des structures 3D différentes avec des possibilités de se lier au PTC changées.

Téléchargement des modèles :

Aspect évolutif

L’allèle PAV est considéré comme l’allèle ancestral dans l’espèce humaine car on retrouve les trois mêmes acides aminés (Proline, Alanine, Valine) aux mêmes positions dans le produit du gène homologue des chimpanzés, des gorilles, des orangs-outangs, d’un gibbon, d’un macaque et d’un babouin. Ceci peut être mis en évidence en alignant les séquences du fichier Recepteurs_PTC_Primates_adn.edi avec Anagène ou GenieGen.
Exemple pour le SNP en position 785 :

En utilisant les fichiers SequencesPrimates.pir (séquences non alignées) ou SequencesPrimates.aln (séquences déjà alignées), on peut dans Phylogène comparer les séquences et construire un arbre phylogénétique (l’extra-groupe est ici le rat) :



 

Le même type de résultat peut-être obtenu en ligne avec Geniegen 2
Lien pour ouverture directe en ligne : https://www.pedagogie.ac-nice.fr/svt/productions/geniegen2/?load=EXT-PTC-EVO


Il a été établi que la sensibilité au PTC est parfaitement corrélée à la sensibilité à une substance naturelle, la l-5-vinyl-2-thio-oxazolidone, produite par les Brassicacées et responsable de goîtres en cas de surconsommation. La sensibilité à l’amertume permettrait donc d’éviter l’ingestion de toxines végétales, qui sont souvent amères (exemples : strychnine, quinine, ricine, caféine).
L’allèle AVI, bien que ne permettant plus la sensibilité au PTC et aux molécules chimiquement proches, produirait un récepteur sensible à d’autres substances amères. Ceci expliquerait la persistance de l’allèle dans la population, car il conférerait un avantage aux hétérozygotes, leur permettant de détecter une plus grande variété de composés amers.

Références

    • Phenylthiocarbamide : A 75-Year Adventure in Genetics and Natural Selection, Stephen Wooding, Genetics 172 : 2015–2023 (2006)
    • Positional Cloning of the Human Quantitative Trait Locus Underlying Taste Sensitivity to Phenylthiocarbamide, Un-kyung Kim, Eric Jorgenson, Hilary Coon, Mark Leppert, Neil Risch, Dennis Drayna, Science 299, 1221-1225 (2003)
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