Déterminisme génétique de la couleur de la panthère noire

Publié le 9 décembre 2020

Analyse de séquences nucléotidiques et protéiques pour élucider l’origine de la couleur de la panthère noire, tout en explorant les propriétés du code génétique.

Auteur : Vincent GUILI, Lycée Descartes, Saint-Genis-Laval

Liens avec le BO

Programme de sciences de la vie et de la Terre de première spécialité
BO spécial n°1 du 22 janvier 2019
Première : La Terre, la vie et l’organisation du vivant
Transmission, variation et expression du patrimoine génétique

Mutations de l’ADN et variabilité génétique
Les mutations sont à l’origine de la diversité des allèles au cours du temps. Selon leur nature elles ont des effets variés sur le phénotype.

L’expression du patrimoine génétique
Le code génétique est un système de correspondance, universel à l’ensemble du monde vivant, qui permet la traduction de l’ARN messager en protéines.
Le phénotype résulte de l’ensemble des produits de l’ADN (protéines et ARN) présents dans la cellule. Il dépend du patrimoine génétique et de son expression.

Capacités

Caractériser à l’aide d’un exemple les différentes échelles d’un phénotype (moléculaire, cellulaire, de l’organisme).


 

Mise en situation

Document 1 : Mélanisme chez le léopard

L’apparition du mélanisme (assombrissement de la coloration de fond du pelage) est documentée chez 13 espèces de félidés, atteignant dans certains cas des fréquences élevées au sein des populations. Parmi celles-ci, le léopard (Panthera pardus) est un sujet d’étude privilégié, étant donné le statut d’icône de la "panthère noire" et la fréquence extrêmement élevée du mélanisme observée dans certaines populations asiatiques.
Photographie : Mithun H

 

Document 2 : Déterminisme moléculaire de la pigmentation du pelage

La mélanocortine est une hormone qui se fixe à la surface des mélanocytes sur le récepteur MC1R. Cette fixation active le récepteur, ce qui aboutit dans la cellule à la stimulation de la fabrication d’eumélanines (pigments brun foncé et noir). Si le récepteur n’est pas activé, la voie de synthèse des pigments est dirigée vers la production de phéomélanines (pigments jaunes à rouge).
La protéine Agouti ou ASIP (Agouti Signaling Protein) agit également comme une hormone. Elle est antagoniste de la mélanocortine : elle se fixe sur MC1R et inhibe le fonctionnement du récepteur.
La nature et les quantités des pigments produits dépendent donc de la balance entre les quantités de mélanocortine et de protéine agouti.
Source : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4885833/ et image produite à partir des structures 3D des molécules (MC1R, d’après https://doi.org/10.1016/j.febslet.2014.05.032 ; Mélanocortine, modélisée sur PEP-FOLD ; Agouti_leopard et aussi disponible la version mutée d’Agouti chez la panthère noire, modélisées sur I-TASSER).

 

Consigne

La couleur noire du pelage de certains léopards est transmise de génération en génération, ce qui indique qu’elle est déterminée par un ou plusieurs gènes. Les mécanismes moléculaires qui gouvernent la production des pigments sont connus (voir document 2). Les séquences des gènes de la Mélanocortine, d’Agouti et de MC1R ont été déterminées chez le léopard et chez la panthère noire.
Analyser les séquences pour déterminer l’origine du mélanisme de la panthère noire.

Ressources

Le fichier leopard_et_panthere-noire.edi (clic-droit, Enregistrer la cible du lien sous...) contient un ensemble de séquences des gènes impliqués dans le déterminisme de la pigmentation du pelage :

Nom du gène

Source et annotation

MC1R_Leopard

La séquence est en réalité celle du jaguar (Panthera onca), accession number AY237396.1

MC1R_Panthere_noire

Même séquence que celle du Léopard, mais avec une susbstitution silencieuse (codon synonyme).

Melanocortine_Leopard

La séquence codant pour la mélanocortine est représentée par celle de son précurseur chez le Léopard (Panthera pardus), la pro-opiomélanocortine (POMC) : accession number XM_019441881.1

Melanocortine_Panthere_Noire

Même séquence que celle du Léopard, mais avec une susbstitution silencieuse (codon synonyme).

Agouti_Leopard

Les séquences du gène Agouti viennent de la publication de référence.

Agouti_Panthere_noire

Idem. Chez la Panthère noire, une mutation ponctuelle fait apparaître un codon STOP.

 

Résultats

Le fichier de séquence leopard_et_panthere-noire.edi est ouvert dans un logiciel d’analyse : Anagène, GenieGen ou Geniegen 2 (remarque : le lien ouvre directement les séquences en ligne). Toutes les images proposées ont été obtenues avec Geniegen 2.

Une première approche pour répondre au problème est d’aligner les séquences pour chercher des différences éventuelles. Les trois gènes étant différents, il est indispensable de procéder à trois comparaisons indépendantes. Si l’élève réalise seul et correctement cette manipulation, cela permet de s’assurer qu’il a bien compris ce que représentent des séquences génétiques et le sens qu’on peut donner à leur comparaison par alignement.

Document 3 : Comparaison des séquences des gènes du léopard et de la panthère noire

Chez la panthère noire le gène MC1R porte une substitution 723C->A, le gène Melanocortine une substitution 426C->A, et le gène Agouti une substitution 333C->A.

 
Pour chaque gène une variation nucléotidique ponctuelle est identifiée. À ce stade il n’est donc pas possible de répondre au problème.
Pour aller plus loin il est nécessaire de procéder à la comparaison des séquences protéiques, puisqu’in fine ce sont les protéines qui contrôlent la synthèse des pigments (cf document 2). Là encore les protéines doivent être comparées deux à deux, entre séquences homologues.
 

Document 4 : Comparaison des séquences des protéines du léopard et de la panthère noire

Les séquences des protéines MC1R et Melanocortine du léopard et de la panthère noire sont totalement identiques. Par contre la protéine Agouti de la panthère noire est plus courte que celle du léopard (25 acides aminés de moins).

 
Au niveau protéique on ne retrouve une différence entre les séquences que pour la protéine Agouti, qui est plus courte chez la panthère noire. Pour comprendre la discordance entre les résultats d’alignements des séquences nucléotidiques et protéiques, il est nécessaire d’explorer le tableau du code génétique.
 

Document 5 : Conséquence des mutations chez la panthère noire

Les substitutions identifiées sur les gènes MC1R et Melanocortine de la panthère noire sont silencieuses car elles produisent un codon synonyme de celui présent chez le léopard (GCC->GCA et CGC->CGA). Par contre la substitution sur le gène Agouti (UGC->UGA) fait apparaître un codon STOP, terminateur de traduction, ce qui explique la longueur moindre de la protéine Agouti de la Panthère noire. C’est une mutation non-sens.

 
Chez les léopards porteurs du gène Agouti muté (substitution 333C->A), la protéine Agouti n’est pas produite en entier car la traduction s’arrête au codon STOP généré par la mutation. On peut donc supposer que la protéine tronquée n’est plus fonctionnelle. Or cette protéine a pour rôle d’inhiber l’activité du récepteur MC1R sur les mélanocytes producteurs de pigments. En son absence, le signal transmis par MC1R est donc fort et stimule la fabrication d’eumélanines (pigments brun foncé et noir). Du coup l’animal produit un pelage très foncé et on l’appelle la panthère noire.

En conclusion cette activité permet de découvrir ou de remobiliser les propriétés du code génétique :

  • à un triplet de nucléotides (un codon) correspond un seul et unique acide aminé ;
  • le code est dégénéré (ou redondant) car à un acide aminé peuvent correspondre plusieurs codons (il existe en effet 64 possibilités de codons, et seulement 20 acides aminés) ;
  • 3 triplets de nucléotides ne codent pour aucun acide aminé. Ces triplets « non-sens » indiquent, lors de la traduction, la fin de la protéine. Ils sont ainsi nommés « codons STOP ».

Références

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