L’amélioration des techniques de coloration de Golgi par Cajal a permis une progression des connaissances et de prouver que le système nerveux possèdent des cellules aux contours bien définis et non fusionnées. C’est la fin de la théorie réticulaire et la confirmation que le système nerveux obéit bien à la théorie cellulaire.
Auteure : Catherine PALMIER, Lycée Saint-Just, Lyon
Objectifs de l’activité
- Mettre en œuvre un objectif général du programme de première enseignement scientifique : comprendre la nature du savoir scientifique et ses méthodes d’élaboration.
- Idée principale : Les techniques de coupe et de coloration des cellules nerveuses développées par Golgi ont été reprises et améliorées par Cajal. Là où Golgi voit une continuité des neurones avec une anastomose des dendrites et axones pour former un réseau syncitial unique, Cajal montre que les neurones sont contigus et qu’il existe une séparation spatiale entre les membranes des deux cellules neuronales successives. Sherrington appellera plus tard cette zone la synapse.
Mise en situation

Figure 1
Source : https://www.ias.ac.in/article/fulltext/reso/015/11/0968-0976
Au 19ème siècle, la théorie cellulaire était acceptée par la majorité des scientifiques : la cellule est l’unité du monde vivant et les organes sont constitués de cellules bien identifiées. Cependant, si ceci est vrai pour l’ensemble de l’organisme, les avis divergent pour la structure du système nerveux central. Deux camps s’affrontent alors : Golgi qui défend la théorie réticulaire dans laquelle le système nerveux est formé d’un ensemble de cellules qui ont fusionné pour former un réseau dense dans lequel le cytoplasme de cellules voisines communique. De l’autre côté, Cajal, qui défend la théorie neuronale où les neurones sont des structures individualisées, contigües, ... Cette dernière vision est en accord avec la théorie cellulaire où chaque cellule est limitée par une membrane plasmique qui délimite un espace intracellulaire. En 1906, Golgi et Cajal se voient tous les deux attribuer le prix Nobel malgré leur désaccord. En effet, la technique de coloration développée par Golgi a permis de faire avancer les découvertes de Cajal et ainsi de bouleverser et de faire consensus sur les connaissances scientifiques de l’époque.
Consigne
À partir de l’étude du corpus documentaire, rechercher des informations utiles pour montrer que les progrès techniques ont permis de résoudre la divergence entre Golgi et Cajal et ainsi de renforcer l’idée que la cellule est l’unité de base également du système nerveux.
- Photographies et interprétations des observations microscopiques de cervelet faites par Golgi
- Photographies et interprétations des observations microscopiques de cervelet faites par Cajal
- Photographies et interprétations de cellules nerveuses du cerveau par Cajal et Golgi
- La réaction noire, une technique de coloration des cellules nerveuses utilisée par Golgi et Cajal
Document 1 : Photographies et interprétations des observations microscopiques de cervelet faites par Golgi

Photographie probablement réalisée par Golgi lui-même du réseau nerveux diffus du cervelet.
Source : musée de l’Histoire de l’Université de Pavie

Le réseau nerveux diffus du cervelet tel que représenté par Camillo Golgi sous forme de dessin.
Source : musée de l’Histoire de l’Université de Pavie
NB : Golgi semble ne pas avoir représenté les dendrites des cellules de Purkinje pointées par une flèche rouge. Les cellules en panier ou corbeille ne sont pas observées ou représentées.
Source : The dendritic spine story : an intriguing process of discovery. Javier DeFelipe, 2015
Document 2 : Photographies et interprétations des observations microscopiques de cervelet faites par Cajal

Photomicrographies d’une des préparations de Cajal du cervelet d’un oiseau adulte coloré par la méthode Golgi améliorée.
(D) grossissement plus élevé de (C) pour illustrer une cellule de Purkinje (flèches rouges) et une formation de panier ou corbeille (flèches bleues). (E) dendrite de la cellule de Purkinje recouverte d’épines dendritiques.
Barre d’échelle : 200 μm en (C) ; 60 µm en (D) ; 8,4 µm en (E).
Source : The dendritic spine story : an intriguing process of discovery. Javier DeFelipe, 2015

Schéma d’interprétation extrait du livre « Histologie du système nerveux de l’homme et des vertébrés ».
On peut observer les cellules en corbeille (flèches bleues) et les cellules de Purkinje (flèches rouges).
Source : Histologie du système nerveux de l’homme et des vertébrés. Cervelet, cerveau moyen, rétine, couche optique, corps strié, écorce cérébrale générale et régionale, grand sympathique / par S. Ramon Cajal
Document 3 : Photographies et interprétations de cellules nerveuses du cerveau par Cajal et Golgi
(A) Dessin réalisé par Golgi pour illustrer une cellule pyramidale du cortex moteur humain colorée avec la méthode Golgi. L’axone apparaît en rouge.
(B) Dessin réalisé par Cajal pour illustrer une cellule pyramidale du cortex moteur humain. a, partie initiale de l’axone ; b, dendrites ; d, collatérales axonales.
(C) Dessin de Cajal pour illustrer les épines dendritiques de cellules pyramidales (cortex cérébral d’un enfant de 2 mois).
(D) Photomicrographie d’une préparation de Cajal du cortex moteur humain (enfant de 15 jours) colorée selon la méthode Golgi. L’image illustre une dendrite apicale d’une cellule pyramidale de couche V recouverte d’épines.
Barre d’échelle (en D) : 8 μm.
Source : The dendritic spine story : an intriguing process of discovery. Javier DeFelipe, 2015
Document 4 : La réaction noire, une technique de coloration des cellules nerveuses utilisée par Golgi et Cajal
En 1873, pour réaliser ses observations, Golgi durcissait des blocs de tissu nerveux dans du bichromate de potassium, puis il immergeait ces blocs dans une solution de nitrate d’argent. La coloration de Golgi appelée « réaction noire » sélectionne un petit pourcentage des éléments dans un bloc de tissu. Lorsque le tissu était sectionné et examiné au microscope, des cellules nerveuses entières pouvaient être vues avec leurs dendrites et leurs axones attachés. Cependant, Golgi a longtemps gardé secrète sa technique de coloration car elle est sujette à caution : chaque tissu semblait nécessiter une procédure légèrement différente ; des moments différents dans les différentes solutions étaient nécessaires en hiver et en été. Mais une fois coloré avec succès, les résultats sont spectaculaires. Golgi pouvait désormais voir les cellules nerveuses et leurs prolongements dans leur intégralité, et il utilisa sa coloration pour faire des découvertes fondamentales sur leur structure.
En 1887, tout juste nommé professeur d’histologie à Barcelone, Cajal découvre et perfectionne la technique de coloration de Golgi. Il apporte deux modifications essentielles. Il utilise les tissus d’animaux jeunes ou d’embryons : leurs cellules nerveuses se prêtent mieux à la coloration, car elles ne sont pas (ou peu) myélinisées. D’autre part, il répète plusieurs fois l’imprégnation des tissus dans le bichromate et les solutions argentiques.
Documents 2 et 4 : Cet espace a pu être observé par Cajal car ce scientifique a exploité et amélioré la coloration noire de Golgi. Dès 1887, il observe beaucoup plus de détails que Golgi dans le cervelet : dans l’espace où aucune cellule n’avait pu être observée par Golgi, il voit des cellules. Dès 1888, Cajal peut faire l’observation dans le cervelet d’un oiseau que les axones de certains neurones (les cellules en corbeille ou en panier) s’approchent d’autres (les cellules de Purkinje) sans jamais les toucher. Ce qui tend à prouver que la connexion des cellules nerveuses s’établit par contact et non continuité. On peut donc dire que l’amélioration de la technique de coloration par Cajal a permis de découvrir une grande quantité de cellules adjacentes aux neurones. Ainsi, il n’y a plus un seul type cellulaire (les cellules de Purkinje) mais plusieurs (les cellules en panier, les cellules présentes dans l’espace). Ainsi, les renflements des prolongements présents dans l’espace vus par Golgi semblent donc être des corps cellulaires de cellules nerveuses. De plus, l’imprégnation différente du colorant par les cellules montre que les cellules en panier et les cellules de Purkinje sont en contact étroit. On a donc une contiguïté mais pas une continuité entre les deux types cellulaires. Cajal prouve que la théorie cellulaire s’applique aussi au tissu nerveux.
Documents 3 et 4 : Cajal découvre alors que les prolongements des neurones sont loin d’être lisses comme l’avait représenté Golgi. On trouve en effet de nombreuses épines. Cajal ne sait pas encore à quoi servent ces épines. Ainsi, l’amélioration par Cajal de la technique de coloration de Golgi fait émerger un nouveau questionnement : à quoi servent ces épines sur les prolongements des neurones ? L’amélioration des techniques a donc permis de répondre à un questionnement mais en a généré un nouveau. Les connaissances scientifiques sont donc en perpétuelle évolution/reconstruction et sont très souvent dépendantes de l’évolution des techniques.
Conclusion : L’amélioration des techniques de coloration de Golgi par Cajal a permis une progression des connaissances et de prouver que le système nerveux possèdent des cellules aux contours bien définis et non fusionnées. C’est la fin de la théorie réticulaire et la confirmation que le système nerveux obéit bien à la théorie cellulaire.
Un peu d’histoire des sciences et d’épistémologie
Quelques dates et scientifiques associés aux neurosciences :
- Égypte ancienne (-1700 av JC) : Papyrus d’Imhotep et de Smith. Description des scissures, circonvolutions et du liquide cérébrospinal.
- HIPPOCRATE de Cos (-400 av JC) : théorie des humeurs. Maladies du système nerveux dues à des circulations de liquides dans l’organisme. Découverte de la controlatéralité.
- HEROPHILE (-320 av JC) : découverte des méninges, des ventricules ; distinction du cerveau et du cervelet.
- GALIEN Claude (129-216) : Hypothèse du pneuma qui est un souffle vital circulant dans l’organisme et qui anime la matière.
- DESCARTES René (1625) : homoncule situé dans la glande pinéale (épiphyse) qui capterait les essences vitales et les relierait avec les cartes d’activation du cerveau.
- WILLIS Thomas (1645) : distinction substance grise et substance blanche
- VAN LEEUWENHOEKE (1683) : observation au microscope de cellules nerveuses. Ce ne sont pas des tubes mais des structures fibrillaires. Les cellules ne peuvent donc pas transporter les humeurs ou les « esprits ».
- GALVANI Luigi (1791) : découverte de l’électricité animale
- GALL Franz Joseph (1808) : découverte des localisations des fonctions cérébrales
- BELL Charles (1812) et MAGENDIE François (1822) : rôle des racines antérieures et postérieures de la moelle épinière. Localisation des corps cellulaires des neurones dans la substance grise de la moelle et dans les ganglions rachidiens.
- FLOURENS Pierre (1823) : théorie holistique : le cerveau fonctionne comme un tout.
- PURKINJE Jan (1837) : découverte de grandes cellules dans le cervelet qui deviendront les cellules de Purkinje.
- SCHLEIDEN Matthias et SCHWANN Theodor (1838-39) : théorie cellulaire : tous les êtres vivants sont constitués de cellules.
- REMAK Ernst (1838) : découverte des 6 couches cellulaires du cortex et des gaines de myélines avec leurs propriétés isolantes.
- VIRCHOW Rudolph (1855) : participe avec REMAK à la construction de la théorie cellulaire en suggérant qu’une cellule provient d’une autre cellule.
- VON GERLACH Joseph (1871) : fondateur de la théorie réticulaire concernant le système nerveux.
- WALDEYER Heinrich Wilhelm (1891) : fondateur de la théorie du neurone. Le neurone est l’unité structurelle et fonctionnelle du système nerveux.
- GOLGI Camillo (1873) et CAJAL Santiago Ramon y (1887) : théorie neuronale confirmée, découverte des dendrites, observation du sens de la croissance des axones. Prix Nobel partagé de 1906.
- VON HELMHOLTZ Hermann (1850) : Mesure de la vitesse de l’influx nerveux.
- DUBOIS-REYMOND Emil (1848) : onde de négativité à l’origine d’un potentiel de repos et d’action.
- SHERRINGTON Charles Scott (1906) : découverte de la synapse. Déduction basée sur le fait que les réflexes ne sont pas assez rapides pour que la communication nerveuse soit exclusivement électrique. Prix Nobel de 1932.
- LOEWI Otto (1926) : découverte du rôle de l’acétylcholine en tant que neurotransmetteur.
- HODGKIN Alan / HUXLEY Andrew (1952) : découverte du rôle de la membrane dans la propagation de l’onde de négativité.
Points abordables en esprit critique par les élèves sur cette activité
Qu’est-ce que la science ?
Science et vérité : qu’est-ce que la science ?
Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Librairie philosophique Vrin, 1999 (1ère édition : 1938), chapitre I
Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cette conviction que c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique. Et il ne s’agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d’incriminer la faiblesse des sens et de l’esprit humain : c’est dans l’acte même de connaître, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C’est là que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c’est là que nous décèlerons des causes d’inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques. La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n’est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n’est jamais « ce qu’on pourrait croire » mais il est toujours ce qu’on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l’appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d’erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui dans l’esprit même fait obstacle à la spiritualisation [...].
La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit.
Une connaissance acquise par un effort scientifique peut elle-même décliner. La question abstraite et franche s’use : la réponse concrète reste. Dès lors, l’activité spirituelle s’invertit et se bloque. Un obstacle épistémologique s’incruste sur la connaissance non questionnée. Des habitudes intellectuelles qui furent utiles et saines peuvent, à la longue, entraver la recherche. « Notre esprit, dit justement M. Bergson, a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l’idée qui lui sert le plus souvent ». L’idée gagne ainsi une clarté intrinsèque abusive. À l’usage, les idées se valorisent indûment. Une valeur en soi s’oppose à la circulation des valeurs. C’est un facteur d’inertie pour l’esprit. Parfois une idée dominante polarise un esprit dans sa totalité. Un épistémologue irrévérencieux disait, il y a quelque vingt ans, que les grands hommes sont utiles à la science dans la première moitié de leur vie, nuisibles dans la seconde moitié́. L’instinct formatif est si persistant chez certains hommes de pensée qu’on ne doit pas s’alarmer de cette boutade. Mais enfin l’instinct formatif finit par céder devant l’instinct conservatif. Il vient un temps où l’esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le contredit, où il aime mieux les réponses que les questions. Alors l’instinct conservatif domine, la croissance spirituelle s’arrête.
L’aspect mouvant de la science en marche et la scientificité des théories
Karl Popper, Conjectures et réfutations, La croissance du savoir scientifique, pp. 64-65
Si ce sont des confirmations que l’on recherche, il n’est pas difficile de trouver, pour la grande majorité des théories, des confirmations ou des vérifications » et donc « une théorie qui n’est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique ». Mettre à l’épreuve une théorie est « une tentative pour en démontrer la fausseté (to falsify) ou pour la réfuter ». On doit constater que « certaines théories se prêtent plus aux tests, s’exposent davantage à la réfutation que les autres, elles prennent, en quelque sorte, de plus grands risques ». Au total, le critère de la scientificité d’une théorie « réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester ».
Des facteurs sociologiques et psychologiques peuvent influencer les courants de pensée
Extrait de « De la théorie cellulaire à la théorie neuronale »
Andrée Tixier-Vidal – Biologie Aujourd’hui, 204 (4), 253-266 (2010 @ Société de Biologie, 2011 ; DOI : 10.1051/jbio/2010015
Les facteurs sociologiques et psychologiques jouent incontestablement un rôle dans l’histoire des Sciences qui est aussi une histoire humaine, associant les progrès techniques et les avancées conceptuelles. Dans le cas de Golgi et de Cajal, on dispose d’abondantes données biographiques permettant des confrontations dignes d’intérêt.
A part une certaine similarité de leur origine familiale – père médecin de campagne dans une contrée montagneuse (Alpes italiennes pour Golgi, montagnes de l’Aragon pour Cajal), ces deux personnalités diffèrent profondément par leur psychologie, ainsi que par l’environnement social dans lequel se sont déroulées leurs carrières respectives.
Camillo Golgi, de 9 ans plus âgé que Cajal, a commencé à l’âge de 16 ans ses études médicales à la Faculté Médico-Chirurgicale de Pavie où sa carrière s’est ensuite presque entièrement déroulée jusqu’à l’honneur suprême : recteur Magnificus en 1900. Il eut également à cette période tardive de sa vie une activité sociale : élu sénateur, directeur de la Santé Publique, tout en continuant ses recherches d’histologie normale et pathologique. Cependant, ses débuts n’avaient pas été facilités par l’adhésion au Vitalisme du corps médical de la Faculté de Médecine de Pavie. Après sa thèse de médecine sur l’étiologie des maladies mentales, en 1872, on ne lui proposa à Pavie qu’un cours de microscopie clinique, non salarié. Pour gagner sa vie et payer ses publications, il posa sa candidature pour un poste de médecin `a l’Institution des Incurables à Abbiategrasso où il fut nommé. Ce fut un grand désappointement pour lui : les bâtiments étaient délabrés et il n’avait aucun moyen matériel pour ses recherches. Malgré cela il continua dans sa cuisine ses recherches microscopiques sur l’organisation du système nerveux central. C’est là qu’il mit au point sa fameuse réaction noire qui allait renouveler l’étude du système nerveux. Il effectua alors plusieurs publications sur ce sujet, toutes dans des revues scientifiques locales, en italien (comme par la suite la totalité de ses publications, sauf deux articles importants en franc ̧ais, dans les Archives Italiennes de Biologie). Ses premières publications attirèrent l’attention de la faculté de Pavie ou` il fut nommé Professeur Extraordinaire d’Histologie en 1875, puis après un passage à l’Université de Sienne et ensuite à celle de Turin, il revint définitivement à Pavie en 1877 comme Professeur de Pathologie chargé du cours d’Histologie normale. Il créa à Pavie son propre laboratoire et attira de nombreux étudiants originaires d’Italie.
Cependant, les observations de Golgi restaient encore pratiquement inconnues hors d’Italie. Cette situation fut inversée en 1887 avec la visite de l’anatomiste allemand von Kolliker, qui venait de découvrir les premiers travaux de Cajal et souhaitait rencontrer l’auteur de cette fameuse réaction noire. A partir de cette date, la réputation de Golgi gagna toute l’Europe, bien que lui-même ne quittât jamais Pavie pour quelque réunion scientifique. Il poursuivit à Pavie ses recherches d’histologie, non seulement sur le système nerveux mais aussi sur de nombreux problèmes de pathologies. Il reçut de nombreux prix internationaux, dont le Prix Nobel de Physiologie et Médecine, en 1906, conjointement avec Cajal.
Ramon y Cajal effectua un parcours universitaire bien différent de celui de Golgi. Ses études classiques furent chaotiques. Il manifesta d’abord une vocation artistique de peintre, contrariée par son père qui l’envoya au monastère de Jaca dont il fut renvoyé après divers exploits. Son père lui fit alors faire un apprentissage de cordonnier puis de barbier ! Il se rangea ensuite et poursuivit ses études secondaires à l’École de Huesca où il obtint le baccalauréat et commença de s’intéresser à l’anatomie. Cet intérêt satisfaisait son père, chirurgien et professeur de dissection à l’Université de Saragosse. Il travailla avec son père pendant trois ans, où son talent de dessinateur fit merveille. Cependant l’Université de Saragosse était elle aussi dominée par le Vitalisme et il n’était pas question de microscopie et d’histologie. Cajal, qui n’était plus satisfait par les dissections, fut attiré par la biologie après qu’un assistant de physiologie lui eut montré la circulation sanguine in vivo dans le mésentère de grenouille. Il a décrit son émotion en termes imagés et poétiques !
Après avoir obtenu son titre de médecin en 1873, il fut enrôlé dans le corps médical de l’armée espagnole engagée dans la guerre de répression de la révolte de Cuba. Il revint de Cuba en 1875, fatigué par la malaria et la dysenterie et amer sur la politique coloniale de l’Espagne. La même année il eut un poste d’assistant à l’Institut d’Anatomie de Saragosse. Il décide alors de se consacrer exclusivement à la recherche histologique. Il achète avec ses propres économies un microscope Zeiss, un microtome de Ranvier, des revues étrangères, apprend l’allemand et travaille seul, avec passion. Après une absence de deux ans pour soigner et guérir un accès de tuberculose, il revient à Saragosse et en 1885 il est nommé à la chaire d’Anatomie de Valence. Il effectue plusieurs travaux de bactériologie et d’histologie puis commence à s’intéresser au système nerveux, influencé par les travaux de Golgi. En 1887, il découvre une préparation de tissu nerveux traité par la r réaction noire, que lui montre un ami psychiatre. Il est ébloui et s’attache immédiatement à l’appliquer et à l’améliorer. Il initie une longue série d’observations et de publications sur diverses régions du système nerveux central. A partir de ces images, il élabore, dès 1888, sa théorie de la polarisation dynamique et rejette la théorie du réseau de Golgi, d’où le début d’une controverse à vie. Sa réputation dépasse déjà l’Espagne lorsqu’il décide en 1889 de participer à la Conférence de la Société des Anatomistes Allemands à Berlin. Son mauvais français est reçu avec scepticisme mais la démonstration de ses préparations déchaîne l’enthousiasme, notamment de von Kolliker, qui abandonne la théorie réticulaire et va diffuser ses travaux en Allemagne. En 1892, il est nommé à la chaire d’Histologie Normale et d’Anatomie Pathologique de Madrid où il créera son propre Institut. Il est invité par des universités prestigieuses en Europe et aux USA et enfin reçoit le Prix Nobel, conjointement avec Golgi en 1906.
Sur la fin de sa vie Cajal n’eut pas d’activité sociale ou politique. Cependant il a eu un effet décisif sur la vie publique espagnole. Il a réveillé la conscience et la confiance de l’Espagne dans son pouvoir intellectuel.
Bien que leur contribution au progrès des neurosciences ait été d’importance égale et que tous les deux fussent fascinés par leurs recherches, leurs personnalités respectives divergent profondément par plusieurs aspects.
- Le confinement géographique de Golgi contraste avec l’ouverture au monde scientifique de Cajal. Golgi était très attaché à Pavie et à son Université. Par rapport à Madrid, Pavie était et est toujours (au moins en 1998) une charmante petite ville italienne où les bâtiments de l’Université n’ont pas changé en apparence. On pourrait dire que Golgi était un homme du XIXe siècle alors que Cajal appartient déjà au XXe siècle.
- Le sens des contacts humains de Cajal contraste avec l’attitude de Golgi, telle qu’elle a été décrite par ses proches. Golgi n’était pas un bon orateur. Il n’était pas doué pour attirer l’attention d’un large public. Il était r réservé mais avait cependant le sens de sa supériorité et son attitude commandait le respect.
- Le style de l’écriture de ces deux savants est très différent. Les descriptions morphologiques de Golgi sont très détaillées ; elles semblent laborieuses par le souci de ne négliger aucun détail et la méfiance des interprétations hâtives. Il a très bien exprimé ce souci dans son article en français sur la première description du réseau interne de la cellule nerveuse qui deviendra l’appareil de Golgi : « pour ma part, j’aime à le répéter encore une fois, ce sera autant de gagné pour la science si, abandonnant la prétention de construire des édifices qui trop souvent se réduisent à des châteaux en l’air, nous nous en tenons pour le moment à la modeste tâche d’étudier les faits avec patience » (1898). Au contraire le style de Cajal est élégant, vivant, avec souvent un certain humour. Il se distingue non seulement par ses qualités d’écrivain, mais aussi par ses qualités artistiques comme l’on peut en juger par la qualité à la fois esthétique et didactique de ses dessins. Cependant Cajal est tout aussi rigoureux dans la rédaction de ses descriptions. Il est en outre très conscient du pouvoir et des limites des théories. La préface de son ouvrage « Histologie du système nerveux de l’homme et des Vertébrés » (1909, traduit par Azoulay) est un texte d’un grand intérêt épistémologique. Parmi beaucoup de réflexions pertinentes on citera : « Mais ne l’oublions jamais, une théorie n’est qu’une théorie. C’est un édifice provisoire, élevé par notre esprit pour synthétiser de façon artificielle un certain nombre de faits et permettre d’en saisir l’ensemble et l’enchaînement ; ce n’est jamais une vérité acquise définitivement, un moment durable et indestructible du labeur de notre pensée. Et cependant que de victimes, et des plus illustres, de cet oubli, de ce mirage si pernicieux ».
La controverse Golgi-Cajal peut être située, avant la lettre, dans le cadre d’une controverse entre « réductionnistes » et « intégristes ». On peut comprendre que Golgi, par son contact très précoce avec la neuropathologie, se rangeait spontanément dans le clan des intégristes. Une telle confrontation ne me semble pas avoir disparu de nos jours avec le renouveau de la physiologie intégrée ou de la physiologie des systèmes. Quoiqu’il en soit, le climat de la controverse entre ces deux génies, si différents, s’est aggravé avec le temps, surtout de la part de Golgi. On peut y voir l’amertume d’un savant dont l’entrée dans la « saga » du système nerveux a précédé celle de Cajal de près de 15 ans et qui voit ses interprétations prudentes balayées par celles d’un nouveau venu. Cela s’est traduit par le premier paragraphe de sa conférence Nobel qu’il a intitulée : « La doctrine du Neurone » : « Il peut paraître singulier que, tandis que je me suis toujours déclaré contraire à la doctrine du neurone – tout en reconnaissant que c’est justement dans mes études qu’il faut en rechercher le point de départ – j’ai choisi comme sujet de cette conférence justement la question du neurone et que cela arrive au moment où de tous côtés l’on affirme que cette doctrine penche vers son déclin » !
Cette attitude laisse, à tort, une mauvaise impression sur un savant rigoureux dont les contributions sont inséparables de celles de Cajal.
L’importance d’une collectivité scientifique pour aboutir à de la connaissance
Des lames de Cajal trouvées dans les affaires de Sherrington (premier à nommer la synapse). Ce sont les mêmes lames qui ont permis les illustrations de Cajal sur la cellule de Purkinje. Ainsi, se déploie la connaissance scientifique dans l’Europe.
Source : De Carlos JA, Molnár Z. Cajal’s Interactions with Sherrington and the Croonian Lecture. Anat Rec (Hoboken). 2020 May ;303(5):1181-1188. doi : 10.1002/ar.24189. Epub 2019 Jun 17. PMID : 31172626.